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Appel à investissements massifs : l’Afrique partirait bien par le rail





Le 9 Novembre 2023, par François Nguilla Kooh, PhD

L’Afrique ne voudrait plus entendre qu’elle serait mal partie (comme le déclarait René Dumont en 1962) par défaut de transport ferroviaire pour son décollage économique et social. C’est en substance ce qui transpirait des conversations du forum international sur le financement des projets ferroviaires en Afrique du 19 au 21 Octobre 2023 à Dakar au Sénégal. François Nguilla Kooh, l’un des auteurs du livre « Le Ferroviaire, Instrument de Puissance » publié chez VA Editions en Septembre 2023 revient après sa participation à ce forum, sur l’urgence de repositionnement du ferroviaire au cœur des enjeux de souveraineté. 42 pays d’Afrique, d’Europe et d’Asie étaient représentés lors de ce forum qui a rassemblé près de 500 participants (gouvernants et décideurs politiques, représentations diplomatiques, entreprises ferroviaires, opérateurs économiques, financiers, industriels, etc.)


Le futur, c’est le rail et ce serait en Afrique

Le ferroviaire est l’outil par excellence à inscrire dans les stratégies d’intégration territoriale, régionale en Afrique ainsi que développement durable. Il y a urgence de le mettre en exergue lors de la COP28 qui aura lieu à Dubaï le 30 novembre 2023. Howard Rosen, Président du Rail Working Group, rappelait lors de ce forum que "Ce serait une tragédie de ne pas voir le potentiel du ferroviaire de l'Afrique. Le développement du ferroviaire en Afrique servira la prospérité du monde".  D’ailleurs, en 2013, un rapport du Sénat français titrait que l’Afrique en mutation est un enjeu majeur pour l’avenir de la France et de l’Europe (1). Avec une population jeune et dynamique qui dépasserait les 2 milliards (environ un quart de la population mondiale) en 2050, il y a sans aucun doute un véritable gisement d’opportunités économiques.

Le continent et l’UIC se sont fixés un cap et une feuille de route lors du sommet de Rabat en 2019 en matière de vision du ferroviaire en Afrique (2). Pour la plupart des observateurs, l’urgence est la rénovation des lignes existantes pour recréer un dynamisme économique le long des tracés des voies ferrées qui datent pour la plupart de l’époque coloniale. Des arbitrages stratégiques sont à diligenter. Il y a besoin de mise aux standards en termes d’écartement, d’augmentation du poids à l’essieu ou du poids linéaire du rail pour le transport de plus de marchandises ou minerais. En même temps, de nouvelles lignes devraient être construites pour répondre aux besoins croissants en transport et être un accélérateur de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF).
 

La volonté politique et une nouvelle gouvernance des transports durables à inventer

Le forum de Dakar d’octobre 2023, co-organisé par les Chemins de Fer du Sénégal (CFS) et l’Union Internationale des Chemins de Fer (UIC) a permis aux différentes parties prenantes d’échanger sur les leviers politiques et financiers activables pour prétendre atteindre les ambitions des Objectifs de Développement Durables des Nations Unies, et ceux des Agendas 2040 et 2063 de l’Union Africaine (3). Malgré des signes positifs on est encore loin des objectifs que s’étaient fixés les chefs d’Etat et de Gouvernements Africains en janvier 2012 lors de l’approbation de l’initiative PIDA (Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (4)).

Au niveau du continent, il y a une forte attente d’une nouvelle gouvernance stratégique. Il faudrait procéder de manière géographique et non globale au travers d’organisations sous régionales. Ces organisations aux missions et objectifs bien définis regrouperaient des ministres dédiés exclusivement au ferroviaire et non rattachés à un ministère englobant les autres modes de transports. Une telle option requiert un fort et indéfectible appui des politiques au plus haut niveau de chaque Etat avec une exigence de continuité quels que soient les changements de dirigeants. Mais il faut commencer par restructurer la gouvernance dans chacun des pays. Il faut une refonte des écosystèmes ferroviaire au travers de nouveaux cadres juridiques et réglementaires. Une Autorité de Régulation, une nouvelle société de gestion du Patrimoine ferroviaire et un concessionnaire avec des rôles et responsabilités distincts. Le Cameroun s’est tout récemment en juillet 2023, inscrit dans cette transformation structurante. Autre axe fondamental : sortir le ferroviaire de son cercle fermé, le démocratiser afin qu’il devienne un enjeu national et régional avec des politiques ambitieuses de formation et d’innovation pour que les projets ferroviaires soient adaptés au contexte et besoins africains et que ces derniers en soient les bâtisseurs. La filière aura besoin en Afrique de plus d’inclusivité des différents acteurs notamment des chercheurs, universitaires et partenaires privés.
 

Les investissements, bénéfices et temporalité dans le ferroviaire

Revenons à la question des investissements ferroviaires. Les investissements à engager pour l’infrastructure devraient être du ressort étatique. L’exploitation devrait revenir à des opérateurs privés qui auront des exigences de résultats et de rentabilité.

L’investissement dans le ferroviaire est un impératif vital et doit s’inscrire dans un droit inaliénable d’exigence de transport ferroviaire pour les africains comme le déclarait Taoufik Boufaied Président Directeur Général des Chemins de fer Tunisiens et Président de l’Union des Chemins de Fer Africains. Le cas du TER de Dakar, une filiale du groupe SNCF est un bel exemple de réussite sociétale. Les bénéfices d’un tel investissement ne seront pas financiers mais plutôt économiques à l’aune des retombées en termes de création d’emplois et des chaînes de valeurs. Ils sont dans le temps long. Il appartient donc aux décideurs de mieux intégrer les multiples dimensions temporelles des projets ferroviaires.

Les projets ferroviaires, pour la plupart destinés au transport de minerais ne sont pas légion en Afrique. C’est le cas de la Guinée qui attise les convoitises avec ses 8Mds de tonnes de réserve de fer et plus de 40Mds de tonnes de bauxite ce qui représente près du tiers des réserves du monde. Cette manne devrait servir à financer la construction de 670 kms de chemins de fer avec 120.000 créations d’emplois directs et indirects à la clé rapportait Ibrahim N’Diary Diallo Directeur Général des Chemins de Fer de Guinée. Le Nigéria a lancé en 2017 un plan ferroviaire pour un coût de 41 milliards de dollars. Dans la partie australe de l’Afrique, on constate une volonté manifeste des pouvoirs publics d’impulser une dynamique en faveur du ferroviaire.

Intermodalité route-rail, externalités et investissement prioritaires dans le ferroviaire

Il y a un levier faisant l’unanimité et qui s’inscrit dans les convictions : il faudrait une vraie stratégie d’intermodalité route-rail et un grand plan de Transports durables à la faveur du ferroviaire. De même, des choix politiques sont à faire pour un rééquilibrage des investissements dans le transport en tenant compte des externalités positives du rail. Par ailleurs, les comparaisons des coûts du ferroviaire et ceux de la route doivent tenir compte des coûts des externalités négatives liées au nombre de décès par accidents de la route par rapport au nombre d'habitants (27 pour 100.000), des traumatismes, des conditions difficiles de transport routier, des pollutions diverses et leurs effets sur la santé. En 2018, la Banque mondiale dans le rapport intitulé The High Toll of Traffic Injuries : Unacceptable and Preventable (5) indique que la croissance économique des pays africains serait accrue en réduisant les impacts négatifs du transport routier. Par exemple, un pays comme la Tanzanie verrait son PIB augmenter de 7% à l’horizon 2038, en diminuant de moitié les décès et traumatismes liés aux accidents de la route (6).  Ces coûts externes maintiendraient plusieurs pays d’Afrique sous la barre des 2% de croissance annuelle du PIB par tête, selon le rapport de mai 2019 de l’Observatoire Europe-Afrique 2030 (7).  Dans le rapport de 2021 du Conseil Exécutif des Transports urbains durables (CETUD) et la Banque mondiale, le coût estimé de 900 milliards de francs CFA de pertes dues aux externalités négatives du transport par la route au Sénégal correspondrait à 6% de son PIB (8). L’Afrique doit amorcer des ruptures au risque de voir la situation s’empirer avec des coûts exorbitants comme dans certains pays d’Europe. A titre comparatif, dans un pays comme la France, les conclusions du rapport de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr) pour l’année 2021 relevait des coûts d’externalités à hauteur de plus de 36,4 milliards d'euros dont 10,5 milliards au titre des mortalités, 21,4 milliards d'euros au titre des hospitalisations, 3,4 milliards au titre des blessures légères et le reste pour les dégâts matériels (9). Ces dépenses pèsent forcément sur un Etat, les collectivités locales et les populations. Il est clairement admis qu’un milliard investi dans le ferroviaire ce sont deux milliards d'économies pour les collectivités et les populations.

Le poids de la dette et les conditions contractuelles : des freins à mitiger

Les dettes des pays africains deviennent de plus en plus insoutenables ; ce qui peut être rédhibitoire pour de réelles transformations impérieuses pour autant. Les Etats africains peuvent toutefois compter sur le soutien de la Banque Mondiale qui assurait les participants au forum de Dakar via la voix de son représentant, des taux avantageux des prêts que cette dernière octroie et qui serait autour de 1%.

D’un autre côté, les opérateurs privés investissant dans les pays d’Afrique doivent s’inscrire dans une démarche engageante et transparente de volonté de développement du pays où ils se trouvent. Le coût du transport au sein du continent africain est prohibitif et est en défaveur des capacités d’investissement et de consommation. L’étude commandée en 2018 par l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) montre que l’acheminement intérieur sur l’Afrique centrale coûte, en moyenne, plus de 6 fois le prix d’importation payé entre Anvers en Belgique et le port de débarquement des marchandises dans la même région d’Afrique centrale (10). Et on ne peut qu’applaudir quand Mohamed Diop, Directeur Régional Afrique Atlantique du groupe AGL (Africa Global Logistics) affirme que les opérateurs gérant les ports en Afrique doivent prendre leurs parts de responsabilité et investir dans le ferroviaire. Selon lui « On ne peut pas investir dans des pays, amener les marchandises jusqu’au port et demander aux Etats de se débrouiller pour les transporter vers les clients finaux. La connectivité de l’Afrique passera par la voie ferroviaire ».  Le rapport de 2013 du Sénat français relevait que « le coût du transport à l’intérieur des pays est au moins le double des coûts similaires en Asie et en Amérique latine. En conséquence, les entreprises africaines de moindre envergure sont incapables de soutenir la concurrence sur la scène internationale »

Il en ressort aussi un besoin de tourner la page de certains contrats léonins dont ont souffert plusieurs pays d’Afrique. Certains experts évoquèrent même l’idée de contractualisation des prêts et financements en monnaie locale pour éviter la dépendance des politiques monétaires étrangères. Avec une intelligence économique et une prospective sérieuse, on pourra dire que Dakar a été un tournant. Mais ce continent doit saisir également les opportunités qu’apportent la digitalisation et l’Intelligence Artificielle pour une industrie et des systèmes ferroviaires hautement performants. Elle doit être aux avant gardes de ces sujets dans le montage de ses projets ferroviaires. Il s’agira notamment de la bonne prise en compte des menaces et risques sur des produits et solutions numériques garantissant la sécurisation des projets ferroviaires et par conséquent des services de qualité et résilients.




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