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Jérôme Garnache : « La difficulté du financement en OCABSA, c’est d’expliquer le mécanisme aux actionnaires »





Le 22 Août 2023, par La Rédaction

PDG d’Europlasma depuis 2019 suite à la reprise de cette entreprise en redressement judiciaire, Jérôme Garnache a réorienté son groupe vers la décarbonation industrielle et l’industrie de Défense. Pour le financement de ses activités, Europlasma a été amené à recourir aux OCABSA, via un partenaire financier privilégié, Alpha Blue Ocean. Une solution non conventionnelle, mais une solution vertueuse, comme nous l'explique le dirigeant du groupe.


Europlasma sortait d’un redressement judiciaire en 2018, la réglementation vous interdisait donc d’avoir recours à un financement bancaire traditionnel. Mais la relance des activités – dans la dépollution, la décarbonation et l’industrie de la Défense – nécessitait des investissements lourds. Pourquoi avoir eu recours aux OCABSA (obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions) dans votre modèle économique ?

Quand nous avons repris Europlasma, nous savions que, pendant un certain nombre d’années, nous serions dans l’impossibilité de nous financer de manière classique, via des financements bancaires par exemple. Nous savions aussi que, même en étant dans un secteur ayant le vent dans le dos – la décarbonation, la dépollution, les certificats CO2, etc. –, les fonds d’investissement ayant vocation à financer ce genre d’entreprises allaient eux-mêmes être averses à cette forme de risque. Il faut bien se rendre compte qu’au moment de la reprise, Europlasma était en très mauvaise posture. Toutes nos sociétés, à Morcenx ou à Tarbes, sont passées par un redressement judiciaire. Si bien que nous n’avons pas eu d’autres options que de nous financer de manière moins classique, grâce aux OCABSA.
 
Nous avons aussi fait ce choix car la réglementation bancaire (CRBF) impose aux banquiers, pour des sociétés qui sortent d’un redressement judiciaire, une mobilisation de fonds propres égale à 100% des montants prêtés. La rémunération de ces fonds propres devient donc impossible : selon la réglementation, quand les banquiers vous prêtent 100, la charge en capital est voisine de 9 en moyenne – même s’il existe quelques mécanismes permettant de « dérisquer ». Mais la pondération pour une entreprise en redressement judiciaire, c’est 100%.


Justement, le socle de tout investissement, c’est la confiance. Comment préserver cette confiance dans la durée, ou amener d’autres partenaires à vous suivre ?

Nous sommes, nous, sur un temps industriel, et le temps des investisseurs n’est pas le même. C’est la difficulté principale. Quand je signe un contrat pour une usine de 90000 tonnes, les investisseurs pensent que tout arrive en un claquement de doigt. Non, il faut tout faire, obtenir toutes les autorisations… Cela prend du temps. Et ça, ce n’est pas simple à expliquer. Le vrai sujet est là. Mais une fois ces premières étapes passées, vous allez générer du chiffre d’affaires. Vous avez des gens qui vont acheter des titres en estimant qu’à terme, le rendement sera intéressant. Quand nous annonçons que nous allons doubler notre chiffre d’affaires, cela fait automatiquement venir de nouveaux investisseurs.
 
La réalité, c’est que la matérialisation de ce chiffre d’affaires, notamment liée à certains aspects de l’investissement, doit être plus rapide : nous devons créer de la valeur au moins aussi rapidement que nous la diluons à travers le programme d’OCABSA. Quand vous êtes dans une société en retournement, c’est mécaniquement impossible. Remettre en ordre de marche une entreprise en redressement judiciaire demande nécessairement de réinvestir : vous avez un outil industriel mort, désinvesti ou sous-investi. Vous êtes alors obligé de financer des opex qui étaient déjà là et financer la réindustrialisation et la modernisation des actifs.
 
Il y a donc un nouveau schéma à imaginer, j’y travaille en ce moment : il faut redonner du temps aux utilisateurs d’OCABSA à travers un mécanisme de collatéralisation et de gestion du risque dans les bilans des banques, à travers un mécanisme de garantie.


Quelles sont les limites de ce mode d’investissement ?

Les OCABSA permettent à l’entreprise de ne pas s’endetter, ce qui est très vertueux ; mais la dilution qui s’en suit n’est pas vertueuse pour les petits porteurs. La difficulté du financement en OCABSA, c’est d’expliquer le mécanisme aux actionnaires. Dès notre première assemblée générale en 2019, je l’ai dit : ce sera « du sang et des larmes » jusqu’en 2022. À partir de là, il a fallu continuer d’expliquer en permanence les raisons pour lesquelles nous avons dû avoir recours à ce type de financement.


Pour vos OCABSA, vous avez recours à Alpha Blue Ocean (ABO). Sur quelles bases avez-vous collaboré ?

À l’origine, l’ancien patron d’Europlasma connaissait ABO car il avait déjà eu recours à leurs services pour se financer, à travers Bracknor (ndlr : l’ancêtre d’ABO). Il considérait que mon projet était lisible et compréhensible, et m’a proposé de me mettre en contact avec Pierre Vannineuse, le président et fondateur d’Alpha Ocean Blue. Ce qu’il a fait.
 
Dès le début, avec Pierre, nous avons établi des relations directes en matière de stratégie et de financement. Nous nous sommes immédiatement fixés comme obligation d’être très transparents sur les risques que comportait le financement par ces OCABSA qui permettent de financer de manière instantanée des actifs qui sont des actifs longs. Dans ce cadre, il n’y a pas de congruence en maturité : il n’y a pas de relation directe entre la maturité du financement et la maturité de l’actif que vous financez et l’amortissement de l’actif que vous financez. Nous, quand on se finance en OCABSA, c’est pour payer directement en cash la totalité de l’actif, parce que personne ne nous prêtera de telles sommes pour le financer.
 
Avec Pierre, nous avons alors discuté plusieurs heures de ma stratégie, des activités qu’il avait financées auparavant et que nous avons décidé d’arrêter. L’intérêt principal d’Europlasma, c’était son usine de traitement des déchets amiantés qui avait malheureusement été sous-investie depuis 25 ans. Il fallait tout reconstruire : j’ai donc demandé à ABO de me donner le temps pour redémarrer cette activité, j’ai expliqué qui était autour de la table et comment nous nous projetions dans ce secteur. Nous avions déjà noué des discussions avec la Chine. Le projet leur a plu, ils l’ont soumis à leur comité d’investissement.
 


Concrètement, comment se passe votre relation avec ce partenaire essentiel à votre financement ?

Avec Pierre Vannineuse et Hugo Pingray, les deux cofondateurs d’ABO, nous avons des échanges presque quotidiens sur notre appréhension de l’évolution d’Europlasma. Avec ABO, j’ai un avantage et un vrai confort : si j’ai des besoins particuliers, j’ai des réponses quasiment instantanées. J’appelle Pierre Vannineuse, je lui expose mes besoins et lui demande s’il est prêt à s’engager. Ça nous prend dix minutes.
 
Par exemple, pour notre site des Forges de Tarbes, nous avions un projet d’investissement très lourd et très solide. Du fait de la montée en puissance des Forges, les investisseurs n’ont pas forcément compris pourquoi nous avions un besoin inhérent à cette usine qui, lui, était couvert par des commandes. Les OCABSA ont permis d’investir rapidement afin d’honorer des contrats qui étaient déjà signés. Il s’agissait de 66000 corps d’obus de 155mm, soit plus de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires alors que l’an dernier, le CA du groupe dans sa globalité était de 14 millions.
 
Nous avons fait 15 millions sur un deal et il y en d’autres à venir. Nous devions donc faire des investissements, et les faire dans un laps de temps très court. Si bien qu’aujourd’hui encore, même aux Forges de Tarbes, nous n’avons pas d’autre option que de recourir aux OCABSA.
 


Sans trahir de secret défense, comment se passent ces discussions avec les dirigeants d’ABO ?

Typiquement, dans le cas du financement des Forges, nous avions préalablement convenu d’arrêter le recours aux OCABSA. Nous savions que cela allait être compliqué de gérer la reprise de nos activités, nous en avions conscience. Mais concrètement, j’avais besoin à ce moment-là d’une enveloppe de 15 millions d’euros de capex.
 
J’ai donc demandé à Pierre : es-tu prêt à suivre ? Nous avons discuté du business plan, je lui ai dit où nous en étions au niveau de nos discussions avec un certain nombre de nos clients. La seule chose que nous a demandé ABO – comme ce que demandent tous les partenaires financiers et banquiers au monde –, c’est d’avoir un business plan et de valider régulièrement le fait d’être en ligne par rapport à ce business plan. Aujourd’hui, l’enjeu est de savoir à quelle échéance nous serons capables d’annoncer le retournement du groupe, entre les Forges de Tarbes et d’autres entités comme Inertam que nous sommes en train de reconfigurer et qui ne demandent qu’à être à l’équilibre grâce à un développement commercial approprié.


Pour que cela fonctionne, il faut donc autre chose qu’un bon business plan. À quel point le facteur humain et la relation de confiance sont-ils importants ?

Avec Pierre et ABO, globalement, on se dit toujours les choses, on ne triche pas. Quand on s’engueule – et cela arrive –, c’est parce que l’un a oublié ce que l’autre a dit. Mais on finit toujours par se rappeler les mots prononcés ou les engagements pris, et on se met d’accord. Nous sommes dans ce genre de relation : vous ne vous engueulez pas avec votre banquier, moi je peux m’engueuler avec Pierre. Et pour moi, c’est très significatif de la qualité de notre relation, de la confiance qui s’est établie entre nous. C’est primordial.


Retrouver ICI le premier entretien avec Jéröme Garnache




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1.Posté par Philippe palma le 22/08/2023 17:55 | Alerter
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