Journal de l'économie

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Le virus des idées





Le 18 Mai 2020, par François-Bernard Huyghe


La crise favorise les « nous lavions bien dit » : le mondialisme, lUE, le néolibéralisme, le progressisme, l’économie des flux et les délocalisations, le sanfrontiérisme, etc., tout cela ne nous protègeait pas. Doù trois mises en accusation récurrentes :

⁃ le capitalisme néolibéral a saigné le service public, accentué les inégalités sociales, il faut plus d’État Providence… propos plutôt de gauche ;
⁃ il faudrait revenir à la souveraineté, à l’État stratège, il faut la relocalisation, lautonomie économique et stratégique, limiter le pouvoir de lUE incapable… langage de droite populiste ;
⁃ le productivisme est la source de nos maux, labsurde course au mouvement et à la consommation détruit lenvironnement. La Nature nous envoie un avertissement. Argumentaire écologique.

Il est évident quil ne sagit pas de trois thèses exclusives et que ces problématiques peuvent se combiner. Et se nourrir des critiques qui sen prennent moins aux principes quaux défauts de gestion du gouvernement, à linefficacité bureaucratique de l’État français.
Les trois pôles, social, national et écologique vont polariser le débat des prochains mois. Et face à eux un discours ultralibéral, hypermondialiste ou superproductiviste aurait du mal à se faire entendre.
Ce qui ne signifie en aucune manière que laffaire soit pliée. Pour de multiples raisons.

Notamment que dautres questions comme la sécurité ou limmigration, la géopolitique, ou encore la défense des libertés contre la surveillance numérique, thèmes pour le moment occultés, peuvent revenir au premier plan. Et parce que nous ignorons lampleur de laddition économique et des désordres sociaux qui peuvent suivre. On voit sopposer des réflexes de peur (parti de lordre) ou de colère (une révolte prenant le relais de celles des Gilets jaunes). Sans parler de lhypothèse dun retour de l’épidémie.
Bref les luttes idéologiques dépendront largement de la dégradation des conditions matérielles et de la virulence des conflits, y compris des désordres dans la rue ou un réveil activiste.

Mais, en restant sur le strict plan plan des idées, qui retirera les bénéfices de la crise, voilà qui est tout sauf clair.

Le discours populistes de gauche a, certes, des arguments en faveur de plus de protection et de redistribution. Mais il a un problème dincarnation (Mélenchon n’étant pas gagnant à ce jeu), de divisions (notamment sur la question de la souveraineté ou de lEurope) plus une rhétorique keynésienne égalitaire dirigiste qui ne se renouvelle guère. Ce camp est passablement divisé en dépit dappels unanimes à inventer le monde daprès. Même mâtiné d’écologisme, le projet de fermer la parenthèse néolibérale peine à se développer.

À cet égard, la scission « de gauche » au sien de LREM est significative : il sagit d’être « plus » : plus rassembleurs, plus sociaux, plus écolos, plus inventifs. Question de gradation sur une échelle idéologique immuable. Ce pourrait être un symptôme que le pouvoir s’éloigne de sa composante plus branchée, bobo, libertaire pour se droitiser et sappuyer sur une bourgeoisie plus classique et souvent plus âgée.

Le discours souverainiste de droite trouve des motifs de célébrer les frontières, l’État stratège et de dénoncer le mondialisme quite à négliger provisoirement les thèmes identitaires. Mais il peut être concurrencé auprès des classes populaires par un souverainisme de gauche qui pointe loreille. Le RN souvent ramené au rôle d’épouvantail bloque la rage des couches périphériques peu diplômées ne profitant pas de la mondialisation : il remplit la fonction tribunicienne protestataire sans débouchés très clairs pour le moment.
Les idées écologistes triompheront-elles ? Et la peur du réchauffement climatique ou une quelconque collapsologie peut-elle engranger des dividendes de la peur sanitaire ? La réponse dépend du rapport entre peur de la fin du monde et peur de fin du mois.

Pour beaucoup la période du confinement a donné un avant-goût de la sobriété respectueuse de lenvironnement que réclament les verts. Et il nest pas si évident que gens menacés de chômage ou de faillite désirent autre chose que conserver un minimum de niveau de vie. La façon dont sest exprimé le discours écologique pendant la crise (manifeste de Hulot, ou lutte des peoples contre le consumérisme) na guère fait avancer une cause qui reste attractive pour une opinion jeune, urbaine, diplômée, mobile, mais dont la traduction politique est plutôt floue.

Frappant plus le bloc populaire que le bloc élitaire et montrant avec quelle facilité s’établissent déjà s procédures de contrôle (y compris le contrôle idéologique avec la loi Avia), l’épidémie a exaspéré ceux qui sont déjà exaspérés. Mais pour le moment on ne voit pas vraiment bouger les lignes de lhégémonie idéologique.

Le pouvoir macronien, accusé dimpéritie et de contradictions, nayant guère démontré le pragmatisme et lefficacité qui étaient censés le caractériser, doit sattendre à deffroyables difficultés. Il a sans doute soulevé un ressentiment que lon mesure mal et beaucoup moins bénéficié du réflexe légitimiste que dautres gouvernements européens. Mais il nest pas désarmé, notamment dans la perspective dun gouvernement dunion nationale. Il jouerait alors de largument de lurgence et de labsence dalternative face à une opposition divisée.

Le discours en forme de demi-aveu serait alors : il aurait fallu plus de gouvernance, de solidarité et de prévoyance, nous allons corriger cela avec une économie plus humaine et raisonnée, nous allons réformer lEurope, cest une chance pour le multilatéralisme, ce sera une nouvelle ère du nouveau monde, remettons lhumain au premier plan, verdissons la croissance raisonnable, réinventions-nous, coopérons, mais renforçons l’État qui protège et les valeurs républicaines… Cest du syncrétisme en langue de coton, mais cest surtout le signe que nous sommes rentrés dans une guerre de positions idéologique.




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