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Les Kurdes, l’instrumentalisation des minorités d’Orient, une tactique de guerre géopolitique





Le 14 Octobre 2019, par Eric Denécé


Combattants kurdes du YPG
Combattants kurdes du YPG
« Cette politique soudaine d’abandon menace de défaire cinq années de combat contre l’EI et va sérieusement atteindre la crédibilité et la fiabilité des Américains dans toutes les batailles futures dans lesquelles nous aurons besoin d’alliés forts », déclare l’ancien chef des forces américaines au Moyen-Orient, le général Joseph Votel, consterné par le lâchage des Kurdes de Syrie abandonnés à leur sort face à l’armée turque. Après avoir formé, équipé et entraîné les Forces démocratiques syriennes (FDS), qui ont eu un rôle crucial dans la lutte contre le califat autoproclamé de Daech, voici que les États-Unis abandonnent à nouveau leurs alliés, comme ils l’ont fait en 2017 au lendemain du référendum pour l’indépendance du Kurdistan d’Irak.
            Cette tradition de l’abandon par l’Occident d’alliés « minoritaires » n’est pas nouvelle. Dans le but de décoder cette "machine de guerre géopolitique", le journaliste et arabisant Tigrane Yégavian nous offre quelques clés de lecture dans son remarquable ouvrage Minorités d’Orient (Le Rocher), un essai « coup de poing » qui s’efforce de déconstruire un certain nombre d’idées reçues. À commencer par la complexité de cette mosaïque que de nombreux médias réduisent à une réalité simpliste, voire erronée.
            Si l’émotion a pu avoir quelques effets positifs, notamment à l’occasion des tragiques événements de l’été 2014 où le nord de l’Irak fut investi par les sicaires de l’État islamique qui ciblèrent immédiatement les minorités chrétiennes, son effet a rapidement disparu en raison du règne de l’immédiateté médiatique. Résultat, rares sont les ouvrages comme celui-ci à proposer un véritable examen critique de la triple responsabilité de la situation que connaissent ces minorités : historique d’abord, comme en témoigne l’héritage empoisonné des politiques coloniales des puissances mandataires française et britannique au Moyen-Orient ; contemporaine ensuite, au regard des conséquences calamiteuses de l’intervention illégale des États-Unis en Irak (2003) ; locale enfin, si l’on tient compte de la responsabilité de certaines élites minoritaires dans leur propre malheur. Car d’après Tigrane Yégavian, si l’Occident porte une responsabilité accablante dans le funeste destin de ces minorités, ces dernières sont en partie coresponsables de leur malheur, car coupables d’une « naïveté meurtrière » celle de croire aveuglément en la parole des représentants de la « Fille aînée de l’Église » comme ce fut le cas des Arméniens de Cilicie, tragiquement abandonnés à leur sort en 1921.
Le livre de Tigrane Yegavian n’est pas une nouvelle complainte évoquant le sempiternel calvaire des « chrétiens d’Orient » et des Yézidis. L’auteur se livre à une analyse historique sérieuse qui éclaire la situation actuelle. Certes, l’histoire se répète, même si les acteurs ne sont plus les mêmes. Les Occidentaux font preuve du même aveuglement que jadis et se caractérisent toujours par leur attitude opportuniste, oubliant les engagements pris vis-à-vis de leurs coreligionnaires et se laissant acheter par les promesses de juteux contrats d’armement par des régimes islamistes rétrogrades qui répandent partout à coup de pétrodollars une idéologie mortifère.
 

S’il n’appelle pas l’Occident à la repentance, l’ouvrage de Tigrane Yegavian démontre que la solution d’une énième balkanisation de la région en entités ethnoconfessionnellement homogènes n’est pas la panacée. Il paraît pour l’auteur impossible sinon très difficile de parier sur la constitution un Etat chrétien dans la région, car il risquerait de n’être qu’un « bantoustan surmonté d’une croix aussi commode à garder qu’aisé à détruire. Asile illusoire dans l’instant, sûr charnier demain » (p. 27).
Mais l’auteur veut croire aussi que le déclin des chrétiens d’Orient n’est pas irréversible, car ces minorités survivent et se réorganisent dans un espace diasporique au gré des leurs multiples épisodes migratoires. Partout en Europe, en Amérique du Nord et jusqu’en Australie, leur identité se recompose, une nouvelle génération de militants émerge, s’adaptant aux situations nouvelles et exploitant avantageusement les technologies de l’information et de la communication pour conserver et entretenir la conscience nationale en diaspora.
L’auteur conclut par un plaidoyer pour la sécularisation du fait minoritaire en Orient. À ses yeux, il faut séculariser ce qui peut encore l’être, traiter cette question sous l’angle de la défense des droits de l’homme et de la promotion de la diversité, condition première pour assurer la survie de ces groupes, la stabilité régionale et garantir la paix entre les deux rives du Mare Nostrum.

Éric Denécé
Directeur
Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
 



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